Les comptes bancaires de cinq grandes entreprises ont été bloqués par la justice tchadienne pour permettre au fisc de recouvrer des imp?ts. Cette décision, qui intervient dans un contexte de crise économique, est mal accueillie par les sociétés ciblées et le patronat.
Le 27 juillet 2018, le procureur de la République du tribunal de grande instance de N'Djamena, Youssouf Tom, a ordonné, par des réquisitions spéciales, aux huit banques commerciales de la place du centre-ville de bloquer provisoirement tous les comptes bancaires (courants, de crédit, d'épargne, etc.) ouverts chez eux par les Brasseries du Tchad (BDT), la Manufacture des cigarettes du Tchad (qui détient le monopole dans le secteur), Millicom Tigo (l'un des deux leaders de la téléphonie mobile), la Société de manutention du Tchad et la Société nationale du ciment. "Ces mesures conservatoires peuvent être levées d'office par l'Inspection générale d'Etat (IGE) après vérification de la régularité de la situation de chaque société contr?lée", a précisé M. Youssouf.
Cette décision du parquet d'instance de N'Djamena est intervenue à la suite d'une requête de l'IGE qui a diligenté des missions de contr?le au sein des cinq sociétés dès le 2 mars 2018 et "sur instruction du président de la République". Le seul but de ces réquisitions de blocage des comptes est de "permettre à l'IGE de recouvrer les montants des avis de mise en recouvrement", a indiqué le procureur de la République.
La procédure judiciaire a été très mal accueillie au sein des sociétés ciblées où elle crée déjà des conséquences sociales. Mardi, les employés des BDT ont observé un sit-in pour protester contre le non-paiement de leurs salaires du mois de juillet, d? au blocage des comptes de l'entreprise. Les BDT, propriété du groupe fran?ais Castel, emploie quelque 500 personnes.
Réunis devant le siège de leur entreprise dans le quartier industriel de Farcha, dans le 1er arrondissement de N'Djamena, les employés des BDT ont dénoncé l'acte du procureur qui ne favorise pas un bon climat d'affaires. "C'est un coup de grace donné par l'IGE à notre entreprise qui déjà, ayant du plomb dans l'aile, se bat difficilement pour se maintenir suite à la conjoncture mondiale défavorable qui a mis à rude épreuve sa survie", ont déclaré les délégués du personnel dans un communiqué.
Ils ont appelé à l'intervention des plus hautes autorités du pays pour un déblocage rapide de cette situation.
Face à cette situation inédite, le Conseil national du patronat tchadien (CNPT) s'est réuni en urgence mardi. Dans un communiqué de presse sanctionnant cette assemblée générale extraordinaire, il a exprimé "ses craintes notamment sur les conséquences inéluctables qui en découleront par rapport à la production des biens et services concernant les avis de mise en recouvrement (AMR) que rejettent les entreprises".
Avec la chute des cours du pétrole en 2014, le Tchad a vu fondre ses recettes budgétaires, leur niveau est aujourd'hui insuffisant pour couvrir les dépenses essentielles de l'Etat. Pour améliorer le niveau des recettes hors pétrole, le gouvernement tchadien a entrepris, avec l'appui de ses partenaires, de réformer l'imp?t sur les revenus des personnes physiques (IRPP), jugé trop complexe et inadapté, et de s'attaquer aux avantages fiscaux dérogatoires accordés à certaines entreprises et qui constituent un manque à gagner considérable pour le fisc.
"Les exonérations accordées dans le cadre des conventions souscrites par le Tchad, n'ont pas produit les effets escomptés ; leur impact n'a été bénéfique qu'aux riches, ce qui est contraire aux attentes du gouvernement", a déclaré Abdoulaye Bahar Bachar, secrétaire général du ministère des Finances et du Budget.
Au cours d'une réunion nationale sur l'évaluation des dépenses fiscales et la réforme de l'IRPP, tenue fin mars dernier dans la capitale tchadienne (à laquelle ont participé des fiscalistes venus du Cameroun, du Gabon, du Congo, du Maroc, et du Sénégal), l'exploitation des 37 conventions en vigueur au Tchad a donné un manque à gagner de plus de 43 milliards de francs CFA pour différents imp?ts en ce qui concerne la Direction générale des imp?ts, et d'un montant de plus de 100 milliards de francs CFA pour les TVA au niveau du cordon douanier. Les deux régies ont, pour ce travail d'échantillonnage, révélé une bagatelle de plus de 150 milliards de francs CFA de manque à gagner.
"Ce qui est considérable, mais également regrettable du fait que les engagements pris par les bénéficiaires des conventions n'ont jamais été respectés pour la plupart", avait déploré M. Bachar.
Parmi la trentaine de bénéficiaires de ces conventions figurent les entreprises ciblées par l'IGE et la décision du procureur de la République. Toutes rejettent les avis de mise en recouvrement et dénoncent un "harcèlement fiscal".