Commentatrice:
Laurène Beaumond
La question peut sembler un peu brutale, mais nous sommes en 2020, et en 2020, tout est (quasiment) permis. La question est donc la suivante : qu'est-ce qui peut encore sauver l'économie mondiale ? A part les GAFA et les géants du e-commerce que la pandémie n'a pas le moins du monde ébranlé, le constat est tout de même assez alarmant. Les plus grandes enseignes mondiales de prêt-à-porter comme H&M ou Gap sont obligées de fermer des magasins dans le monde entier et les petits commerces, confinement des grandes villes européennes et américaines oblige, sont carrément passés en mode survie. Il n’y a donc pas que des individus qui passent par la case réanimation. Une partie des petits commer?ants savent déjà qu'ils ne survivront pas au coronavirus, et songent déjà à une possible reconversion. On peut légitimement se demander, au vu du contexte actuel où tout se joue sur Internet, s'il y a encore de quoi positiver en matière d'échanges commerciaux internationaux.
Et il y a des événements qui semblent tomber du ciel et qui, s'ils ne sauveront pas le monde, vont sans doute faire office de petite lumière au bout d'un interminable tunnel. Parmi eux figurait la 3ème Exposition Internationale d'Importation de Chine, organisée du 5 au 10 novembre à Shanghai. Un peu moins connue et moins ancienne que sa grande s?ur la Foire de Canton (dont la première édition remonte à 1953), la CIIE comme on l'appelle en anglais depuis sa création en 2017 est l'événement qui tombe à pic en cette fin d'année 2020. Et, différence majeure par rapport à la Foire de Canton, la CIIE de Shanghai n'est consacrée qu'aux importations étrangères en Chine, et non pas aux importations et exportations. Le président Emmanuel Macron y avait fait une apparition lors de la seconde édition en novembre 2019. Elle est d'ailleurs l'un des rares événements de ce genre à avoir été maintenu dans le contexte actuel. Exceptionnellement fermée au grand public pour causes sanitaires, elle a rassemblé plus de 400 mille professionnels venus des quatre coins du globe présenter plus de 400 nouveaux produits censés séduire le marché chinois. C'était le moment ou jamais pour les grandes entreprises étrangères de finir 2020 en beauté pour espérer repartir sur de bonnes bases en 2021.
Les Chinois ayant le sens du décorum, ils ont tenu à ce que cette exposition revête tout de même un petit air de fête avec un grand spectacle de sons et lumière et un discours du président Xi Jinping (en visioconférence) lors de la cérémonie d'ouverture. Cela n'aura échappé à personne : la reprise de l'économie chinoise est effective. Le pays a donc souhaité recevoir dignement les entreprises étrangères qui apportaient leurs plus belles armes de séduction massive, c'est-à-dire les produits qui sauront convenir aux besoins des Chinois. High-tech, industrie, luxe, agro-alimentaire, les plus grands noms étaient là – et de nouveaux noms aussi, s'ajoutant ainsi à la liste des habitués considérés maintenant comme de vieux amis de la Chine. L'optimisme était mise, et il y avait de quoi : l'édition 2019 s'était conclue sur 71,13 milliards de dollars d'achats de biens et de services.
La Chine, en organisant un tel événement alors que tous les autres sont annulés les uns après les autres sur les autres continents, a-t-elle fait une démonstration de puissance pour en envoyer plein la vue et montrer aux autres pays qu'elle avait réussi à redresser la barre ? Disons qu'il s'agit plus d'une le?on de résilience. Le pays a lui aussi été à l'arrêt pendant les premiers mois de l'année 2020, et a donc eu son lot de souffrances et de drames économiques et humains comme tous les autres. La Chine, en maintenant cette 3ème CIIE, prouve aux autres pays que la crise économique n'est pas une fatalité et qu'il est possible de se remettre de cette crise du Covid en se retroussant les manches et en comptant sur des partenariats solides avec les fameux ? vieux amis ? comme L'Oréal, LVMH, Kering, Danone, Airbus et de très nombreux autres.
Bien plus qu'une simple main tendue vers les pays qui ne voient pas le bout de la crise économique, la CIIE de Shanghai est aussi un événement qui obéit à une loi basique d'offre et de demande : la classe moyenne chinoise s'accro?t d'année en année, et elle désire consommer de plus en plus des produits étrangers de qualité. A plus forte raison quand cette classe moyenne, désormais habituée à voyager régulièrement en Europe, aux Etats-Unis et en Australie ne peut plus le faire à cause du virus. Si les Chinois ne peuvent pas aller vers les produits, il faut donc que les produits aillent à eux. Le PDG de L'Oréal Jean-Paul Agon déclarait au mois d'ao?t que ? La Chine est le 2ème plus grand marché de consommation au monde. Une Chine où des millions de personnes aspirent à une vie meilleure n'a jamais été aussi importante dans la cha?ne de valeur mondiale, et créera certainement de plus grandes opportunités dans notre développement. ? Les chiffres ont parlé, puisque les ventes de L'Oréal ont augmenté de 17,5% au premier semestre 2020 en Chine, alors qu'elles dégringolaient de 11,7% dans le reste du monde.
Signe des temps avec le développement forcé du télétravail et du développement du numérique et des télécommunications, puisque les voyages internationaux ne sont toujours pas possibles, les grands noms de l'électronique comme le fran?ais Schneider Electrics ont profité de cette CIIE de Shanghai pour y proposer des nouveautés qui jettent les bases d'une transition vers le fameux Monde d'Après dont on parle tant – si tenté qu'il existera un jour. Mais c'est désormais une certitude, le numérique est l'avenir de la consommation. Le click and collect, la vente en streaming, les drive, les plateformes de e-commerce qui battent chaque année de nouveaux records... Les marques l'ont bien compris et se sont mises au diapason, même celles d'agro-alimentaire, et même de petits magasins dit ? de proximité ?. Lors cette édition 2020, le collectif Taste France a proposé de faire découvrir ses produits et ses vins via des dégustations classiques, mais aussi via des livestream avec des influenceurs sur les réseaux sociaux. Puisque cela marche, après tout ! Et que dire de ce marathon de vente en ligne de 6 heures en direct sur une terrasse du Financial Center de Shanghai auquel ont participé Dior, les laboratoires de la Roche-Posay qui a cassé les Internets et généré des millions d'euros de vente ?
Cette CIIE n'aura pas été qu'une simple foire commerciale où des entreprises sont venues présenter leurs nouveautés sur des stands. L'engouement qu'elle a suscité en Chine n'est pas à prendre à la légère. Il y a une vraie soif de consommation et une très forte demande pour les marques étrangères. L'édition 2020, malgré un contexte global plus que compliqué, aura vu la signature de plus de 500 intentions de coopération et plus de 70 milliards de dollars de ventes, soit presque aussi bien que les années précédentes. Le vice-président de la branche asiatique du suisse Nestlé a bien résumé l'importance de la CIIE de Shanghai : ? Cette exposition montre que la Chine ouvre davantage son marché intérieur et s'intègre au monde. Elle est déterminée à ouvrir une nouvelle vague de consommation. ? Non, cet événement à lui seul ne sauvera pas le commerce mondial, mais montre déjà qui sera le consommateur de demain : une personne qui exige de la qualité, du beau, de l'utile, de l'écologique, du numérique. Et demain, c'est déjà aujourd'hui.
(Rédactrice : Lucie ZHOU)